Une journée à Dismaland
Je rentrais tout juste de vacances en famille lorsque j’ai appris que Banksy ouvrait son Bemusement Park à Weston-Super-Mare, pour un mois, ce septembre. L’occasion était trop belle pour passer à côté : je me suis offert le luxe de deux jours en tête-à-tête avec moi-même à Bristol pour aller voir de plus près ce qu’il nous avait préparé.
Bien évidemment, je n’ai pas réussi à m’acheter de prévente en ligne, le site était systématiquement « sold out », à peine une heure après la mise en ligne des billets. Qu’à cela ne tienne, j’allais m’armer de patience et faire la danse du soleil pour que l’attente à l’entrée ne sois pas trop pénible le jour J.
Le 21 septembre, je prenais un petit vol, direction Bristol. Le soleil de Paris à vite laissé la place à une pluie bien british. De l’aéroport, j’ai pris un bus pour Weston-Super-Mare où je suis enfin arrivée en tout début d’après-midi. Le temps de grignoter une salade chez Mark&Spencer au milieu du club du quatrième âge local, et le soleil était de retour. Comme quoi, la vie, parfois..! J’ai mis un petit bout de temps avant de comprendre que ce n’était pas dans un des deux serpentins de queue de trois kms qu’il fallait que j’attende, mais derrière, dans la file à l’écart, d’une petite centaine de mètres. Les deux longues étaient réservées à ceux qui étaient déjà en possession du Saint Graal. Patience donc. Patience. 2h45 de patience. D’audace ? Sous le soleil. Dans la boue.
[/vc_column_text]
Et la modeste Weston-super-Mare devenait, à la grande surprise de ses habitants, the place to be.
J’étais enfin aux portes du « nouveau parc d’attractions le plus décevant de Grande-Bretagne « , pour admirer « un festival artistique d’attractions foraines et d’anarchisme de bas niveau ». Une tournure d’esprit savoureusement provocatrice devenue la marque de fabrique de l’artiste. Après avoir franchi des portails automatiques en cartons flanqués de cops tirant la tronche qui me collent le détecteur sur le visage lascivement (Installation de Bill Barminski, « Security Screening Room »), je pénètre dans l’enceinte du parc. Musique hawaïenne fatiguée, entrecoupée de fausses pubs, agents aux oreilles de Mickey visiblement au fond du gouffre, … Ce parc, Banksy l’a voulu à l’image de la société : « C’est décousu, incohérent et narcissique, donc peut-être qu’on y est presque. » Mais derrière le chaos apparent, l’exposition est extrêmement bien pensée et organisée. La cinquantaine d’artistes présentés s’est répartie l’espace et rien n’est laissé au hasard. Le moindre détail est pensé, lugubre, juste.
J’ai entamé ma déambulation par une œuvre de Banksy « Grim Reaper in a Bumper Car » : une folle embardée disco, déjà présentée à New York en 2013. La salle est sombre, les gens se pressent et se bousculent, veulent voir, et de la meilleure place de préférence ! Les codes sont détournés, l’atmosphère, glauque. De salle en salle, je passe devant la Licorne plongée dans le formol de Damien Hirst. Il y en a partout, et toutes les œuvres sont plus spectaculaires les unes que les autres.. Je ne sais pas par où commencer, où donner de la tête. Dehors, une grande roue qui tourne à l’envers, le château de Cendrillon en ruines qui met en scène le destin tragique de Lady Di, un camion blindé anti-émeute dans un bassin de vase qui laisse échapper un jet d’eau de son canon. Une pêche aux canards se révèle compliquée, car tous les volatiles sont gluants de mazout. Un manège de chevaux de bois est devenu la proie d’un serial killer, qui massacre ses chevaux pour en faire des lasagnes… 3h à regarder, des tableaux, des sculptures, des courts-métrages dans cette galerie à ciel ouvert. Et je n’ai pas tout vu ! Certaines attractions étaient payantes et la queue devant, dissuasive.
Cet « Official Unofficial Film » de Jamie Brightmore retranscrit bien l’ambiance, et m’a replongé dans cette expérience unique.
Banksy est un artiste, sinon politique, au moins engagé. Ses créations ne sont jamais neutres, et ses obsessions connues : le totalitarisme, la société de consommation, la cause animale, la guerre, l’homme est un loup pour l’homme… Ce militantisme relativement primaire, exprimé de façon publicitaire me touche particulièrement. Contente d’avoir pu admirer l’œuvre la plus audacieuse du plus célèbre soldat inconnu du street art !